lundi 21 avril 2025

ENCORE PLUS AU NORD JUSQU'A HAKODATE VIA LE TUNNEL SOUS-MARIN

Comme annoncé à la fin de l'article précédent Préhistoire japonaise et autres musées d'Aomori, ce dimanche matin nous prenons le train à grande vitesse Shinkansen de la gare de Shin-Aomori sur l'île de Honshu jusqu'à la gare de Shin-Hakodate-Hokuto sur l'île de Hokkaido. Un train à grande vitesse sous la mer ? Oui bien sûr, comme l'Eurostar dans le tunnel sous La Manche. Ici le tunnel ferroviaire sous-marin s'appelle le tunnel du Seikan (青函トンネル) : ce nom japonais tire son premier kanji de Aomori (青森) et l'autre de Hakodate (函館), les deux principales villes reliées par la ligne Kaikyō qui l'emprunte. Ce tunnel fait 53,85 km de long - soit plus long que le tunnel sous La Manche qui mesure mesure 37,5 km - pour un tronçon sous-marin de 23,3 km creusé sous le détroit de Tsugaru au Japon. Il a été mis en service en 1988 avec des trains "normaux" et ce n'est qu'en 2016 qu'a débuté l'exploitation à grande vitesse. Son point le plus bas se situe à 240 m sous le niveau de la mer et à 100 m sous le fond marin. 

Le nez reconnaissable des TGV japonais

On voit bien en haut de la carte la ligne qui va de Shin-Aomori (Honshu)
jusqu'à la gare de Shin-Hakodate-Hokuto (Hokkaido)

La ligne ferroviaire sous-marine passe sous le détroit de Tsugaru

Une ligne ferroviaire qui passe profondément sous la mer

Et bien sûr à la gare de départ comme à la gare d'arrivée...

... mon oeil avisé arrive à trouver la petite table avec le tampon souvenir
(parfois ça manque un peu d'encre)

Un nouveau car nous récupère à la gare d'Hakodate - et je suis d'accord avec lui concernant le "Hokkaido Love !" vu que j'avais beaucoup aimé cette île parcourue en 2023 - pour nous emmener vers notre première visite à l'architecture si caractéristique en étoile : le fort Goryokaku que j'avais hâte de découvrir.

Toujours la grisaille qui commence à me peser sur le moral

Quoi de mieux qu'un plan du site historique pour parler de son architecture

Photo officielle de la forteresse Goryokaku : illuminée une nuit d'hiver

Photo officielle de la forteresse Goryokaku : verte et rose de cerisiers au printemps

Ce à quoi ça ressemble cette semaine à cause de l'hiver qui a duré

Les cerisiers sont seulement en bourgeons donc ce n'est pas le rose escompté

Les Tokugawa furent contraint d'abandonner leur politique d'isolement national lorsqu'une flotte de la marine américaine arriva au Japon en 1853, entraînant l'ouverture du port de Hakodate. C'est ainsi que fut créé le Magistrate's Office / Bureau des magistrats de Hakodate, institution administrative et diplomatique du shogunat dans un premier temps située au pied du Mont Hakodate. Sa proximité avec le port fut jugée défavorable à la défense, ce qui conduisit à la décision de déplacer le Bureau plus à l'intérieur des terres et à l'édification de la forteresse Goryokaku (五稜郭) afin de le protéger. La construction de ce fort en forme d'étoile (goryo), de style occidental, débuta en 1857 sur inspiration des travaux de l'ingénieur militaire français Vauban, notamment de la structure à cinq branches de la Citadelle de Lille. 

En 1869, le Goryokaku est le théâtre d'une bataille célèbre au Japon qui marque la fin de l'éphémère république d'Ezo fondée en 1868. Désormais dépourvu d'intérêt militaire, le site est transformé en parc public en 1913 et est encore aujourd'hui considéré comme l'un des plus beaux lieux au printemps avec près de 1.500 cerisiers qui s'épanouissent. Pour cette année, avec l'hiver tardif, on est un rien trop tôt... alors que plus au sud du Japon la période est passée : difficile de viser juste.


Le bâtiment du bureau des magistrats, une sorte de palais de justice

Le plan de cette cité administrative (magistrate's office) protégée 
par la forteresse et des douves en forme d'étoile


Et toujours ce soin qu'apportent les Japonais à leurs arbres

Tiens, le soleil est de retour ! On en profite pour monter en haut de la Goryokaku Tower (107 mètres) pour un tour du point de vue à 360° et un dîner qui est le bienvenu.

La Goryokaku Tower

Vue plongeante sur la forteresse Goryokaku






Pas le meilleur curry goûté au Japon...

mais je mange une glace en regardant les cerisiers bientôt
en fleurs pour me remonter le moral

L'après-midi commence par un tour au port et aux entrepôts de briques. Vers le milieu du 19e siècle, Hakodate était le point d'entrée d'Hokkaido. En 1859, avec Nagasaki et Yokohama, elle fut ouverte au commerce international en vertu du traité d'amitié et de commerce. À partir de cette époque, la ville fut influencée par la culture occidentale. À la fin de l'époque Edo (1868), le port devint une base pour les zones de pêche au large de la côte nord-est d'Hokkaido. Les entrepôts en briques rouges furent construit vers 1907. Aujourd'hui ils sont devenus des zones commerciales mais des équipes de télévision et de cinéma les utilisent souvent comme lieu de tournage pour leur aspect historique.





Hakodate est une ville d'emblée sympathique. En repartant vers un autre quartier historique (Motomachi), on lui trouve des airs de petite San Francisco avec ses rues fort pentues, ses habitations colorées et son vieux tramway.

En bleu : un ancien bâtiment gouvernemental
(Former Hokkaido Government Office)

En gris-bleu et jaune : l'ancienne maison communale
(Old Public Hall)





Le ciel hésite toujours sur les suites à donner aux prévisions. Qu'à cela ne tienne : on prend le téléphérique pour aller vérifier nous-mêmes depuis le sommet du Mont Hakodate où Fukushi Naritoyo installa une station météorologique en 1872. Il y enregistra les premières observations météorologiques au Japon et fut équipé d'instruments du naturaliste et explorateur anglais Thomas Blakiston. Verdict en cette fin d'après-midi : le temps est resté sec. La journée aurait pu être plus belle avec un franc soleil et des cerisiers pleinement en fleurs... mais ça aurait pu être bien pire aussi. Toujours rester philosophe...








Direction le quartier de la gare (mais au Japon on ose y sortir le soir ;-) clin d'oeil à la chanson du groupe belge Eté 67) où nous attend un chouette hôtel. Un bain délassant sera le bienvenu après une telle journée. Et puis je trouve au bar du 13e étage un bon spot pour admirer un dernier panorama sur la ville (by night cette fois) en avançant dans les textes de mon carnet de bord et du présent blog.

PREHISTOIRE JAPONAISE ET AUTRES MUSEES D'AOMORI

Aujourd'hui, on ne quitte pas Aomori : le programme prévoit la visite de 3 musées très différents dans la ville. J'ai envie de dire "une journée classique de fin de semaine pour moi" vu que, Museum Pass en poche, nous partons souvent à la découverte d'expos et/ou musées en Belgique avec mon paternel le week-end.


On commence avec le très intéressant Aomori Museum of Art (青森県立美術館) et ses collections d’art moderne étonnantes et variées. Dès l'entrée, on retrouve Kan Yasuda dont nous avions visité le musée en plein air Kan Yasuda Sculpture Park "Arte Piazza" - Bibai quand nous étions à Hokkaido au nord de Sapporo en 2023 (lire : La clé du rêve pour une flânerie parmi les oeuvres de Kan Yasuda).


Oui on peut s'asseoir sur du Kan Yasuda : il n'attend que ça

L'expo temporaire ouvre ses portes ce 19 avril 2025...

et est consacrée à Yasuhiko Yoshikazu, dessinateur et réalisateur
(manga, animés, etc.) 

Au sous-sol est exposé pour l'instant dans un atrium appelé "Aleko Hall" un ensemble de 4 toiles monumentales signées Marc Chagall. Si ces toiles sont si grandes, c'est qu'elles servaient de décor au ballet Aleko du temps où l'artiste - exilé au Etats-Unis pour fuir le nazisme - était scénographe pour le Ballet Theater de New York (il ne s'est pas contenté de peindre les fonds de scène ; il a aussi dessiné les costumes de ce ballet sur une musique signée Tchaikovsky).

Ce qui est exceptionnel, c'est de retrouver exposés au même endroit les décors des 4 actes puisque celui du 3e acte du ballet Aleko, intitulé "Un champ de blé par un après-midi d'été", appartient au Philadelphia Museum of Art (USA) mais a temporairement été prêté au Aomori Museum of Art (Japon). 
Aleko and Zemphira by moonlight, Marc Chagall (1942)

Wheatfield on a Summer's afternoon, Marc Chagall (1942)


Autre artiste du 20e siècle à découvrir dans le musée : Munakata Shiko, chef de file local du Sosaku Hanga (創作版画, littéralement "estampe créative"), mouvement dans lequel l'artiste prend tous les rôles (dessin, gravure, couleur, impression, publication...), contrairement par exemple au Shin Hanga qui relevait plus d'un travail collectif de plusieurs artisans successifs. Souvent ses oeuvres mêlent texte et dessin, ce qui me parle fortement.




Il est rare d'avoir, en plus des estampes (ukio-e), les blocs
de bois qui ont été créés par l'artiste et ont servi à imprimer l'oeuvre






Ses carnets de voyage avaient du style !

Vous l'avez vu en début d'article avec son chien colossal, l'artiste Nara Yoshitomo est aussi mis à l'honneur dans ce musée. Et si ses célèbres et mystérieuses fillettes vous disent quelque chose, c'est parce qu'il y avait une de ces jeunes filles sur la façade du Towada Art Center visité il y a quelques jours.

Aomori-ken Dog, Nara Yoshitomo (2005)

Hula hula garden, Nara Yoshitomo (1994)

Miss Forest, Nara Yoshitomo (2016)
L'original bâtiment octogonal (Hakkakudo) est aussi signé Nara

1, 2, 3, 4! It’s Everything! (Aomori Version), Nara Yoshitomo (2008)

Wish for World Peace, Nara Yoshitomo (2022)

Broken Heart Bench (Aomori version), Nara Yoshitomo (2008)

Bon allez, j'arrête la tête que je faisais sur cette dernière photo car le soleil est revenu pour quelques heures ! Direction la préhistoire dans le musée suivant... où nous commençons par prendre le lunch.



Glace d'époque à la châtaigne

Observez bien leurs t-shirts, ce sont des figurines typiques issues de ce site préhistorique classé au patrimoine mondial de l'UNESCO : Sannai Maruyama (三内丸山遺). Cet important site archéologique de la civilisation Jômon comprend des vestiges d’habitations, de tombes circulaires (style tumulus), de constructions non-identifiées, d'objets (figurines, bijoux, pots et vases, petit sac tressé...) mais aussi des traces de nourriture comme des os d'animaux et arêtes de poissons, fruits à coques (châtaigne ou noix), etc. Pas de riz ; il n'arrivera que vers 600.

Contrairement à ce que vous pourriez penser, ces figurines
d’argile sont principalement féminines (on pense à un matriarcat) 






Jomon = corde enroulée...

... ce qui donne ce motif sur la poterie. 

Un musée très didactique qui complète parfaitement la visite extérieure du site. Les collections sont riches et les recherches scientifiques poussées, notamment sur les graines et pollens trouvés qui suggèrent que l'environnement était boisé, notamment en châtaigniers (d'où le goût de la glace). On comprend sans beaucoup d'aide qu'il s'agit d'un site majeur d'étude de la période Jomon, qui s'étendrait d’environ 4.000 à 2.000 avant notre ère.


On ne connaît pas l'utilité de la tour à 6 pylônes. La grande demeure
semble avoir été utilisée pour des activités collectives comme la cuisine.


Habitation ou grenier sur pilotis






L'important est que, même si c'est l’Europe qui a amené le reste du monde à s’intéresser à la Préhistoire, il faut se méfier de notre ethnocentrisme et être bien conscients que ni notre grille de lecture ni notre ligne du temps ne s’appliquent d'emblée ailleurs dans le monde. Même les livres d’histoire au Japon sont obsolètes parce qu’il y a eu de grandes découvertes ces dix dernières années.

Par exemple, pas d’enceintes défensives. Les Jomon, populations de chasseurs-cueilleurs semi-sédentaires qui étaient ici avant que les Japonais n’arrivent sur ces terres, n'ont pas subi de destruction massive de leur population. Les ethnies se sont mêlées au fil du temps. Il reste environ 2% de Jomon dans l’ADN des Japonais aujourd’hui.

Et puisqu'on parle des Japonais aujourd’hui, faisons un énorme bond dans le temps pour revenir à l'époque actuelle dans le dernier musée du jour : Nebuta Wa-Rasse (ねぶたの家 ワ・ラッセ). Aussi appelé dans certains documents Nebuta no sato, cet énorme hall expose les énormes figures en papier illuminées par des centaines d’ampoules et qui défilent chaque année en août sur des chars dans les rues de la ville au cours de la fête de Nebuta (Aomori matsuri). J'avais déjà eu l'occasion de voir des chars de près à Takayama dans les Alpes japonaises et d'assister au Gion matsuri à Kyoto mais c'est encore d'autres types de festivités ici. C'est toujours intéressant - pour moi qui viens d'une région de carnavals - de découvrir d'autres folklores locaux. Les chars peuvent pivoter sur eux mêmes et ne restent donc pas toujours dans le même sens lors du défilé. Le public peut admirer le travail des créateurs sous toutes ses coutures. Et dans le musée, on voit même l'envers du décor avec des parties de scènes décortiquées (on voit les ampoules cachées dedans) ou avant ajout des couleurs.





On découvre l'envers du décor au travers des secrets de fabrication

Avant / après ajout des couleurs


Une sorte de guerrière rappelant les Amazones,
voire Wonder Woman ;-)



Des goodies comme partout mais pas toujours de très bon goût...

Des figures de papier illuminées qu'on retrouve un peu partout dans la ville (sur les enseignes, etc.), jusqu'à la gare de Shin-Aomori où nous prendrons le lendemain matin le train à grande vitesse shinkansen vers Hakodate sur l'île de Hokkaido, via un tunnel ferroviaire sous-marin donc. Mais ceci est une autre histoire...


Francis retrouve les figurines Jomon et poursuit ses explications