Aujourd'hui, on ne quitte pas Aomori : le programme prévoit la visite de 3 musées très différents dans la ville. J'ai envie de dire "une journée classique de fin de semaine pour moi" vu que, Museum Pass en poche, nous partons souvent à la découverte d'expos et/ou musées en Belgique avec mon paternel le week-end.
On commence avec le très intéressant Aomori Museum of Art (青森県立美術館)
et ses collections d’art moderne étonnantes et variées. Dès l'entrée, on retrouve Kan Yasuda dont nous avions visité le musée en plein air
Kan Yasuda Sculpture Park "Arte Piazza" - Bibai quand nous étions à Hokkaido au nord de Sapporo en 2023 (lire :
La clé du rêve pour une flânerie parmi les oeuvres de Kan Yasuda).
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Oui on peut s'asseoir sur du Kan Yasuda : il n'attend que ça |
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L'expo temporaire ouvre ses portes ce 19 avril 2025... |
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et est consacrée à Yasuhiko Yoshikazu, dessinateur et réalisateur (manga, animés, etc.) |
Au sous-sol est exposé pour l'instant dans un atrium appelé "Aleko Hall" un ensemble de 4 toiles monumentales signées Marc Chagall. Si ces toiles sont si grandes, c'est qu'elles servaient de décor au ballet Aleko du temps où l'artiste - exilé au Etats-Unis pour fuir le nazisme - était scénographe pour le Ballet Theater de New York (il ne s'est pas contenté de peindre les fonds de scène ; il a aussi dessiné les costumes de ce ballet sur une musique signée Tchaikovsky).
Ce qui est exceptionnel, c'est de retrouver exposés au même endroit les décors des 4 actes puisque celui du 3e acte du ballet Aleko, intitulé "Un champ de blé par un après-midi d'été", appartient au Philadelphia Museum of Art (USA) mais a temporairement été prêté au Aomori Museum of Art (Japon).
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Aleko and Zemphira by moonlight, Marc Chagall (1942) |
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Wheatfield on a Summer's afternoon, Marc Chagall (1942) |
Autre artiste du 20e siècle à découvrir dans le musée : Munakata Shiko, chef de file local du Sosaku Hanga (創作版画, littéralement "estampe créative"), mouvement dans lequel l'artiste prend tous les rôles (dessin, gravure, couleur, impression, publication...), contrairement par exemple au Shin Hanga qui relevait plus d'un travail collectif de plusieurs artisans successifs. Souvent ses oeuvres mêlent texte et dessin, ce qui me parle fortement.
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Il est rare d'avoir, en plus des estampes (ukio-e), les blocs de bois qui ont été créés par l'artiste et ont servi à imprimer l'oeuvre |
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Ses carnets de voyage avaient du style ! |
Vous l'avez vu en début d'article avec son chien colossal, l'artiste
Nara Yoshitomo est aussi mis à l'honneur dans ce musée. Et si ses célèbres et mystérieuses fillettes vous disent quelque chose, c'est parce qu'il y avait une de ces jeunes filles sur la façade du
Towada Art Center visité il y a quelques jours.
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Aomori-ken Dog, Nara Yoshitomo (2005) |
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Hula hula garden, Nara Yoshitomo (1994) |
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Miss Forest, Nara Yoshitomo (2016) L'original bâtiment octogonal (Hakkakudo) est aussi signé Nara |
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1, 2, 3, 4! It’s Everything! (Aomori Version), Nara Yoshitomo (2008) |
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Wish for World Peace, Nara Yoshitomo (2022) |
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Broken Heart Bench (Aomori version), Nara Yoshitomo (2008) |
Bon allez, j'arrête la tête que je faisais sur cette dernière photo car le soleil est revenu pour quelques heures ! Direction la préhistoire dans le musée suivant... où nous commençons par prendre le lunch.
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Glace d'époque à la châtaigne |
Observez bien leurs t-shirts, ce sont des figurines typiques issues de ce site préhistorique classé au patrimoine mondial de l'UNESCO : Sannai Maruyama (三内丸山遺). Cet important site archéologique de la civilisation Jômon comprend des vestiges d’habitations, de tombes circulaires (style tumulus), de constructions non-identifiées, d'objets (figurines, bijoux, pots et vases, petit sac tressé...) mais aussi des traces de nourriture comme des os d'animaux et arêtes de poissons, fruits à coques (châtaigne ou noix), etc. Pas de riz ; il n'arrivera que vers 600.
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Contrairement à ce que vous pourriez penser, ces figurines d’argile sont principalement féminines (on pense à un matriarcat) |
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Jomon = corde enroulée... |
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... ce qui donne ce motif sur la poterie. |
Un musée très didactique qui complète parfaitement la visite extérieure du site. Les collections sont riches et les recherches scientifiques poussées, notamment sur les graines et pollens trouvés qui suggèrent que l'environnement était boisé, notamment en châtaigniers (d'où le goût de la glace). On comprend sans beaucoup d'aide qu'il s'agit d'un site majeur d'étude de la période Jomon, qui s'étendrait d’environ 4.000 à 2.000 avant notre ère.
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On ne connaît pas l'utilité de la tour à 6 pylônes. La grande demeure semble avoir été utilisée pour des activités collectives comme la cuisine. |
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Habitation ou grenier sur pilotis |
L'important est que, même si c'est l’Europe qui a amené le reste du monde à s’intéresser à la Préhistoire, il faut se méfier de notre ethnocentrisme et être bien conscients que ni notre grille de lecture ni notre ligne du temps ne s’appliquent d'emblée ailleurs dans le monde. Même les livres d’histoire au Japon sont obsolètes parce qu’il y a eu de grandes découvertes ces dix dernières années.
Par exemple, pas d’enceintes défensives. Les Jomon, populations de chasseurs-cueilleurs semi-sédentaires qui étaient ici avant que les Japonais n’arrivent sur ces terres, n'ont pas subi de destruction massive de leur population. Les ethnies se sont mêlées au fil du temps. Il reste environ 2% de Jomon dans l’ADN des Japonais aujourd’hui.
Et puisqu'on parle des Japonais aujourd’hui, faisons un énorme bond dans le temps pour revenir à l'époque actuelle dans le dernier musée du jour :
Nebuta Wa-Rasse (ねぶたの家 ワ・ラッセ). Aussi appelé dans certains documents Nebuta no sato, cet énorme hall expose les énormes figures en papier illuminées par des centaines d’ampoules et qui défilent chaque année en août sur des chars dans les rues de la ville au cours de la fête de Nebuta (
Aomori matsuri). J'avais déjà eu l'occasion de
voir des chars de près à Takayama dans les Alpes japonaises et d'assister au
Gion matsuri à Kyoto mais c'est encore d'autres types de festivités ici. C'est toujours intéressant - pour moi qui viens d'une région de carnavals - de découvrir d'autres folklores locaux. Les chars peuvent pivoter sur eux mêmes et ne restent donc pas toujours dans le même sens lors du défilé. Le public peut admirer le travail des créateurs sous toutes ses coutures. Et dans le musée, on voit même l'envers du décor avec des parties de scènes décortiquées (on voit les ampoules cachées dedans) ou avant ajout des couleurs.




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On découvre l'envers du décor au travers des secrets de fabrication |
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Avant / après ajout des couleurs |
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Une sorte de guerrière rappelant les Amazones, voire Wonder Woman ;-) |
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Des goodies comme partout mais pas toujours de très bon goût... |
Des figures de papier illuminées qu'on retrouve un peu partout dans la ville (sur les enseignes, etc.), jusqu'à la gare de Shin-Aomori où nous prendrons le lendemain matin le train à grande vitesse shinkansen vers Hakodate sur l'île de Hokkaido, via un tunnel ferroviaire sous-marin donc. Mais ceci est une autre histoire...
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Francis retrouve les figurines Jomon et poursuit ses explications |